La carte et la rivière


L’histoire commence un jour d’été, quelque part sur le front qui sépare les troupes allemandes des troupes polonaises. La guerre a commencé depuis 1914 et personne ne sait quand elle se terminera.

Un camp militaire s’est installé près de là. Sous la plus grande des tentes se sont rassemblés les officiers. Ils parlent depuis des heures, penchés sur une vaste table sur laquelle ont été déroulées des cartes de la région.

Ces officiers aimeraient mettre un coup d'accélérateur à leur offensive contre les troupes ennemies, mais pour cela, il faut planifier l’avancée des hommes. Sauf qu’à ce moment, ils ont un choix compliqué à faire. En effet, un obstacle s’interpose devant eux : Une rivière.

Comment traverser ? C’est bien la question qui se pose et dont ils n’ont pas la réponse. Ils examinent les cartes. Toutes ne sont pas précises. Parfois les informations sont contradictoires. Il y a bien des ponts, mais dans quel état sont-ils ? Lequel serait le plus sûr ? Chacun défend son avis, mais aucune décision ne se dessine sur ce sujet.

Alfred, l’aide de camp d’un de ces officiers, observe la scène sans rien dire. C’est quelqu’un qui a déjà un peu roulé sa bosse et a servi dans le renseignement. Il a bien quelques idées en tête pour le problème qui se pose, mais il n’a pas voix au chapitre.

Lassé de ces tergiversations, il quitte la tente, sort son paquet de cigarette en porte une à sa bouche. Il pense à mettre à exécution une de ces idées, justement.

En vérité, cette rivière, elle ne se trouve pas très loin. Quelques kilomètres. A une bonne cadence de marche, cela ne représente que quelques heures d’efforts, aller-retour. Après ce qu’il a entendu, il aimerait bien la voir cette rivière. C’est son instinct qui le titille, ou plutôt son conditionnement scientifique, lui qui a été formé par une école d'ingénieur. 

Observer, émettre des hypothèses, expérimenter et confronter les faits.

Le voici donc parti. Il arrive aux rives de la rivière et observe. Sauf que son observation est de courte durée. Il ne peut réfréner un rire. Il a trouvé la solution. Il s’empresse de retourner au camp avec la satisfaction au cœur. Quand il arrive, le soir tombe, mais les officiers sont toujours dans la tente à discuter des opérations. Le nœud gordien concernant cette rivière n’est toujours pas tranché. 

Alors Alfred prend la parole et c’est la stupéfaction :

“La rivière est sèche, totalement sèche. Pas une goutte d’eau n’y coule. Peu importe où nous passerons, les hommes peuvent traverser à pieds secs.”

Ce que les cartes ne disaient pas c’était que le débit de la rivière était saisonnier. C’était l’été et elle ne coulait plus. Les officiers avaient trop fait confiance aux cartes. 

Cette histoire est une histoire vraie (à peine adaptée par son auteur). Notre héros a vraiment existé, il se nommait Alfred Korzybski. Il a été un grand scientifique et a inventé la sémantique générale et développé la pensée non aristotélicien. 

Si vous ne connaissez pas la sémantique générale, vous connaissez peut-être ça :

Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente.

Une carte ne représente pas tout de ce territoire.

Une carte donne également des renseignements sur elle-même.

Il serait trop long d’expliquer ici la sémantique générale, mais de façon simple, il faut retenir que notre cerveau (nos pensées, nos croyances, nos souvenirs, notre langage, etc…) ne sont que des cartes. Il faut savoir lever les yeux au-delà de nos cartes pour mieux s'ouvrir au monde extérieur.

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9mantique_g%C3%A9n%C3%A9rale

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Korzybski

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